Nez, la revue… de presse – #14 – Où l’on apprend ce que ressent un sommelier devenu anosmique, que le Covid aurait une signature olfactive et que l’espace sent le vieux fusil

Masques obligatoires pour tout le monde et perte d’odorat pour de nombreux malades : l’épidémie de Covid-19 met décidément nos nez à rude épreuve. Mais pour cette raison précisément, on n’a jamais autant parlé d’olfaction que ces derniers mois.

L’anosmie en particulier a fait l’objet de nombreux articles, les troubles de l’odorat figurant parmi les symptômes les plus spécifiques du nouveau coronavirus. Plusieurs études ont estimé qu’ils concernent 46 % à 86 % des patients atteints de Covid-19, selon Libération. Le quotidien souligne que cette anosmie, qui dure le plus souvent quelques jours, mais peut se prolonger plusieurs mois, voire se révéler permanente, et qui est souvent accompagnée de perte du goût, a un impact très important sur la qualité de vie de ceux qui en souffrent. 

Avec près d’un an de recul sur la maladie désormais, on s’aperçoit que certains malades développent aussi des parosmies, qui leur font percevoir les odeurs de manière déformée, plusieurs mois après avoir été contaminés. Sky news rapporte le cas de patients anglais détectant sans raison des effluves de poisson, de soufre ou de pain grillé, notamment parmi les jeunes et les travailleurs de santé. 

Les mécanismes en jeu sont encore discutés, nous dit Le Figaro : les chercheurs ont notamment mis en évidence un gonflement de la muqueuse nasale qui bloque la transmission des odeurs au cerveau, comme lorsqu’on est enrhumé, mais aussi la capacité du virus à envahir le système nerveux central et le bulbe olfactif. Selon plusieurs équipes, le virus n’infecterait pas directement les neurones olfactifs, mais ce qu’on appelle des cellules de soutien, qui structurent la muqueuse olfactive et entretiennent les neurones.

Ces troubles de l’odorat peuvent s’avérer particulièrement problématiques pour certains dont les narines sont l’outil de travail. On pense bien sûr aux parfumeurs : Le Monde évoque l’expérience d’Ilias Ermenidis, travaillant chez Firmenich, qui s’est réveillé un matin de septembre en ne sentant plus rien. L’anosmie est devenue la hantise des apprentis œnologues et parfumeurs, d’autant que les méthodes d’apprentissage spécifiques à ces filières sont parfois difficilement adaptables à l’épidémie. France Culture a pour sa part interrogé Jocelyn, chef sommelier dans un grand hôtel en Suisse, qui a perdu le goût et l’odorat au printemps. Il le découvre lorsqu’il cuisine pour ses amis un repas qu’il trouve fade…alors qu’il est immangeable pour ces derniers car trop salé. « En termes professionnels, tout s’effondre autour de moi », explique Jocelyn. À force d’entraînement pendant plusieurs semaines, le jeune homme parvient heureusement à percevoir l’odeur d’un pied de basilic, qui lui procure une « joie extraordinaire ».

Mais la perte d’odorat, si invalidante, pourrait aussi devenir un outil permettant de prévoir les pics d’hospitalisations, selon une étude parue dans Nature Communications et citée par 20 Minutes. Le Centre de recherche en neurosciences de Lyon a en effet montré des « liens spatio-temporels forts » entre l’anosmie et la surcharge hospitalière. Dans les régions les plus fortement touchées par la première vague de l’épidémie, le pic d’hospitalisations est ainsi apparu une dizaine de jours après le pic d’anosmie, identifié grâce à la popularité des requêtes Google sur la perte du goût et de l’odorat. Un indicateur à utiliser à l’avenir ?

Par ailleurs, mis à mal par le Covid, l’odorat pourrait permettre d’améliorer nos capacités de dépistage du virus, précise France Inter. Des équipes de l’hôpital Foch et de l’hôpital de Garches ont analysé à l’aide d’un spectromètre de masse l’air expiré par 40 malades placés en réanimation, mettant en évidence une signature olfactive du Covid. Les recherches vont se poursuivre avec des patients peu symptomatiques et pourraient faciliter les tests de dépistage à l’avenir : « On pourrait employer des nez électroniques à grande échelle, en utilisant cette approche d’analyse de l’air expiré, qui est plus simple et plus rapide que les technologies qui sont à disposition actuellement », affirme un des auteurs de l’étude. 

Comment l’épidémie impactera-t-elle l’industrie du parfum?, s’interroge Le Monde, toujours dans le même article. D’abord en matière de préférences olfactives : engouement pour l’eau de Cologne aux vertus prophylactiques ? Raz de marée de notes propres comme lors de l’explosion du sida dans les années 1990 ? Repli des consommateurs vers les classiques, valeurs sûres rassurantes ? La manière de vendre et de tester le parfum a en tout cas déjà évolué, consignes sanitaires obligent : les ventes en ligne se développent et le conseiller de vente revient en grâce.

Alors que de nombreux pays sont confinés et que les voyages internationaux restent très limités, les odeurs nous permettent plus que jamais de nous évader. Sur la Lune par exemple, grâce au travail de Michel Moissef, qui a imaginé pour la Cité de l’espace de Toulouse les effluves de l’astre. S’inspirant de témoignages d’astronautes, notamment de Neil Armstrong qui a décrit l’odeur de « poudre noire brûlée des vieux fusils six coups » de son scaphandre, il a associé des notes brûlées, soufrées et métalliques. 

Voyage dans le temps également, grâce au projet Odeuropa, qui réunit une quarantaine d’historiens, chimistes, parfumeurs et experts en intelligence artificielle et va permettre de constituer une encyclopédie des odeurs que l’on rencontrait en Europe du XVIe au XXe siècle. Que sentaient la bataille de Waterloo ou une usine pendant la Révolution industrielle ? Comment la perception de la senteur du tabac a-t-elle évolué à travers les siècles ? Des milliers de textes historiques et d’images vont être disséqués afin d’en composer des recréations olfactives qui feront l’objet de plusieurs expositions à travers l’Europe. Une preuve réjouissante que le domaine de la recherche sur les odeurs, longtemps délaissé, est de plus en plus reconnu au niveau international. (Lire aussi notre article sur Odeuropa)

Si les odeurs entrent désormais au musée, il reste difficile d’en proposer l’expérience à un spectateur de cinéma ou de télévision, souligne la BBC. De nombreuses tentatives proposant de sentir les relents âcres de poudre d’une fusillade ou le sillage capiteux de la femme fatale qui causera la perte du héros se sont soldées par des échecs. D’abord parce que les technologies n’étaient pas forcément au point, qu’il s’agisse de cartes à gratter ou de cartouches à brancher sur port USB. Mais aussi et surtout parce que l’odeur est souvent reléguée au second plan dans le processus de création, ce qui la rend gadget. Pour qu’elle devienne une composante du divertissement à part entière, il faudrait qu’elle soit partie prenante dès l’écriture du scénario et le tournage, avance la cinéaste Grace Boyle. 

Raconter une histoire en créant un parfum, c’est ce que revendique Jean-Claude Ellena, invité sur France Inter à l’occasion de la parution de son « Atlas de botanique parfumée ». Bonnes et mauvaises odeurs, parfums qui plaisent à tout le monde et donc à personne, héritage d’Edmond Roudnistka : le parfumeur répond aux questions d’Augustin Trapenard avant d’imaginer un parfum qui répondrait à notre besoin actuel d’évasion, qu’il appellerait Sous le vent. Et pour en savoir plus sur les matières premières qui entreraient dans sa composition, l’interview est à réécouter ici

Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !

Visuel principal : © Morgane Fadanelli

Commentaires

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Merci pour cet Article qui met en evidence de nombreux domaines où l’odorat intervient , invisible et omniprésent , ainsi que le pouvoir des odeurs scientifique et poétique. J’espère que cela permettra une reconnaissance et une prise en charge plus sérieuse de l’anosmie.

La signature olfactive de la Covid on savait déjà qu’elle existait : les équipes du Pr Grandjean, de l’Ecole Vétérinaire d’Alfort, travaillent avec les chiens renifleurs depuis le printemps derniers. Et deviNEZ quoi? Les chiens sont aussi, voire plus, sensibles que la PCR! Sauf que comme en France on ne soutient pas la science et la recherche, ils n’ont eu aucun budget du gouvernement (mais ils en ont reçu de l’OMS….cherchez l’erreur). Les études scientifiques sont en train de sortir et leur protocole est utilisé dans le monde entier. Il n’y a qu’en France où on boude nos propres succès…

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