François Henin - Jovoy

Où en est la parfumerie indépendante ? – François Hénin (Jovoy)

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Si l’on comptait les marques pionnières sur les doigts d’une main il y a encore trente ans, la parfumerie confidentielle l’est aujourd’hui de moins en moins. Comment lancer une marque indépendante dans un paysage désormais arrivé à saturation ? Quelles erreurs faut-il éviter pour se distinguer au sein d’une offre pléthorique ? Sur quels critères les points de vente opèrent-ils leur sélection ? De quelle manière le marché va-t-il évoluer dans les années à venir ? État des lieux par François Hénin, fondateur et propriétaire de Jovoy, chaîne de boutiques multimarques spécialisées dans la parfumerie de niche et situées à Paris, au Mans, à Londres, à Dubaï et au Qatar.

Comment choisissez-vous les marques qui entrent chez Jovoy ? 

Il y a dix ans, Jovoy a commencé rue Danielle-Casanova, à Paris, dans un premier espace d’une cinquantaine de mètres carrés. À l’époque, la sélection a été simple : nous proposions une dizaine de marques avec lesquelles nous entretenions des relations amicales. Aujourd’hui, les critères ont évolué. C’est bien sûr le propos olfactif qui nous intéresse avant tout. Dans un univers où les lancements foisonnent, nous essayons d’éviter les redites. Nous choisissons des marques avec une histoire à la fois forte et facile à raconter – tous nos clients n’ont pas le temps d’écouter le dossier de presse leur être récité en latin et en grec. Il faut également qu’il existe une cohérence entre ce discours et la personne derrière la marque. Si je devais résumer, je dirais qu’on a souvent l’impression d’avoir tout senti, dans toutes les gammes de prix, mais qu’on se fait surprendre par une rencontre, par une passion transmise. 

Y a-t-il des signes qui laissent augurer d’un succès ?

Un parfum quelque peu dérangeant attire toujours l’attention. On ne peut pas être sûr de son succès, mais il intriguera forcément. Ensuite, on sait qu’il y a des notes qui séduisent plus facilement : les ambres, les muscs, les bois ambrés marchent toujours. En revanche, il me semble que le créneau des parfums iris est un peu épuisé, comme celui des soliflores. De même, je considère désormais avec moins d’enthousiasme les marques vintage et néo-vintage qui surfent sur un héritage. C’est du déjà-vu. 

Quelles erreurs commettent le plus souvent les marques indépendantes ?

La pire erreur, c’est de débarquer avec des copies : les 50 meilleures ventes mainstream revues par la niche, c’est non. Plus généralement, le marché est arrivé à maturité, on a fait le tour des grandes familles olfactives et on se heurte à un problème de renouvellement. Depuis Black Afgano de Nasomatto, marketé avec succès, le haschisch a été traité sous toutes ses formes, ce qui devient un peu lassant. Mais c’est dans la difficulté que l’homme donne le meilleur de lui-même, et les belles surprises ne sont pas à exclure. Une autre erreur que font certaines marques, c’est de vouloir avancer trop vite, en oubliant le long terme. Souvent, une marque s’effondre parce qu’elle n’a pas été pensée pour être pérenne.

Comment ont évolué ces marques depuis que Jovoy existe ? 

Les critères originels de la niche ont beaucoup bougé. Le créneau du less is more  [de la sobriété] à la Serge Lutens a plutôt mal vieilli, car il a fait beaucoup d’émules. La barre est de plus en plus haute : ce n’est pas possible d’avoir une étiquette mal collée, un capot de travers et un verre terne. Pour séduire la clientèle russo-orientale, en particulier, il faut au contraire se démarquer grâce à un packaging spectaculaire et des couleurs chatoyantes.

De quelle manière voyez-vous l’avenir des marques confidentielles ?

Les clients européens sont de plus en plus préoccupés par l’environnement, et le bilan carbone va davantage être pris en compte dans les briefs. Sur le marché occidental, l’avenir est donc aux packagings plus simples et aux flacons « ressourçables » [réutilisables]. Enfin, sur un terrain olfactif, je suis toujours à la recherche du nouveau chypre, celui qui provoquera un choc équivalent à celui de François Coty en 1917, et j’espère que ce défi créatif sera relevé. 

Cet entretien est tiré de :
Le Grand Livre du parfum – Pour une culture olfactive, 2e édition augmentée, 240 pages, Collectif, Nez éditions, 2020, 30€

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